Notes prises par Françoise Poulnot, au cours de la lecture de Rosine une criminelle ordinaire de Sandrine Cohen.
Le livre commence par un soir d’ombre, un soir où tout bascule, où le monde de Rosine bascule. Car sous l’effet de la dissociation, et absente à elle même, elle noie ses deux fillettes… Ce sont deux morts physiques. Sandrine Cohen, l’autrice de ce très fort texte, s’attache à écrire les morts psychiques.
Si souvent, dans le secret des foyers familiaux, les âmes des enfants sont tuées. Il est si facile de tuer un enfant et que cela ne se voie pas. Le crime organisé c’est souvent dans la famille, comme dans les cas de l’inceste : »c’est un secret entre nous, ça reste en famille, n’en parle à personne ». Les enfants sont les premières victimes de ces »crimes d’âme » comme le dit l’autrice, juste avant les femmes. Les âmes sont meurtries et les corps restent en vie, morts à l’intérieur.
Dans ce récit, une enquêtrice judiciaire de personnalité, cherche dans le passé des criminels, la plupart du temps des gens très ordinaires, ce qui fait qu’un jour ils basculent et deviennent des criminels. Pour cette enquêtrice, juger c’est d’abord comprendre. Car comment juger ce jeune homme par exemple, qui tue sa grand mère qui faisait régner la terreur, le battait, l’enfermait dans un placard avec la complicité de ses parents muets? Qu’est ce qui a rendu ce drame possible ?
Sandrine Cohen nous fait rentrer dans la complexité des angles morts de la psyché traumatisée, elle reconstitue sous nos yeux, strate après strate, telle une archéologue insistante, ce qui aboutit à la dissociation, à l’absence à soi même: la mort psychique.
Le métier de psy par bien des aspects, s’approche de ce profil d’enquêteur psychologique. Car »pour que la vie reprenne le cours de la vie, il faut revenir dans le réel et sortir de l’oubli de la vie ». Dans le cas d’un traumatisme, c’est ce que tentent les psys en y parvenant parfois.
Dans nos cabinets, nous ne sommes pas immunisés contre la folie du monde et bien souvent propulsés dans celle que nous avons évitée, en ayant fait nous-mêmes ce travail d’introspection des profondeurs, au cours duquel nous avons côtoyé nos abîmes et nos gouffres ancestraux, ceux dont certains communs des mortels ne se relèvent pas.