La main étant l’organe qui permet la préhension de l’outil dont on se sert en art thérapie, j’ai eu envie de commencer par me pencher sur elle. L’abondante phraséologie rend compte de l’Importance extrême de la main dans l’activité humaine. Les nombreuses extensions de sens à propos de la main en témoignent : avoir en main, haut la main, prendre en main, mettre la main sur, entre les mains, fait main, prêter la main, se donner la main, faire main basse, petite main, avoir la main, aller de main morte, main mise, homme de main, prêter main forte, etc…. Aussi l’on peut convenir du rôle fondamental qu’elle joue dans l’équilibre de la psyché.
Dans ma pratique d’art thérapeute, je suis ébahie de voir la variété des actions de la main à l’œuvre. Ceci est particulier au pouvoir de la terre ; peut être est ce parce que la terre est la seule matière en art thérapie à être appréhendée avec la main seule, sans l’intermédiaire d’un outil. En ce sens, le premier soin de l’art thérapie est de rendre à la main son pouvoir d’action. Fréquemment quand les mains se mettent à picoter, s’anesthésier, vibrer, se tordre, se tétaniser, lors d’une séance de respiration par exemple, on peut se demander de quoi elles ont besoin. C’est une indication pour écouter « la soif des mains ». Cette soif inextinguible de s’agripper et lâcher, tenir, saisir, prendre, serrer, presser, traire, patouiller, tripoter, toucher, étreindre (actions très archaïques), mais aussi griffer, racler, pincer, tordre, tirer, (peut être lié aux premières actions d’autonomie du petit enfant), puis, manipuler, assembler, aplatir, claquer, taper, casser, reconstruire, malaxer, écraser, (actions qui me font penser au petit enfant avec les jouets et la terre ou le sable), et, moudre, lancer, étrangler, tordre, poignarder, « violer » (actions bénéfiques pour libérer l’agressivité refoulée), enfin, effleurer, masser, lisser, caresser, et, former, modeler, réaliser, élever, édifier.
Alors que la personne pense avoir envie de faire mal, il s’avère que ses mains ont envie de tenir, de s’accrocher et de sentir le contact et le lien.
La personne a la croyance qu’elle ne sait rien faire de ses 10 doigts et voilà que les mains se mettent d’elles mêmes, sans perdre un instant, à malaxer et visser la terre jusqu’à élever un trône, ou à fabriquer une figurine qui va se mettre à converser avec sa créatrice, ( on retrouve, au passage, les thèmes mythologiques de Prométhée, ou du Golem juif).
Les mains participent à la défusion, à la différentiation, l’autonomie en extrayant par exemple un petit bonhomme du magma de la cuvette qui contient le reste de terre molle. Assis sur le rebord du récipient, il semble contempler le bain familial dont il vient d’être séparé. La personne rit du sens dévoilé par ses propres mains.
La boue renvoie à : « ça colle je peux rien faire de ça », être englué. Les mains pleines de terre collante, la personne cherche à tout prix à se nettoyer de cette glue et finit par réaliser un personnage qui va lui donner le signe de sa victoire sur le magma le plus souvent, on s’en doute, représentatif de la mère.
Au cogito de Descartes « Je pense donc je suis », j’ai envie d’opposer : j’agis donc j’existe. J’observe à tous les coups, un regain d’existence pendant et après une séance d’art thérapie. L’action qui reste symbolique, fait écho à l’intérieur de la personne et restaure le fait d’avoir une existence par celui d’avoir agi, et engendre à nouveau le besoin d’agir. Je suis dans l’action, j’existe et j’existe, j’ai envie d’agir.
J’observe régulièrement comment l’énergie d’une personne qui montre des signes d’apathie, se trouve soudain mobilisée avec la terre. Elle plonge les mains dedans, se met à respirer fort à souffler, à travailler cette matière qui veut bien lui donner en retour ce dont elle a besoin. Elle y retrouve un certain pouvoir. L’apathie ayant sûrement pour cause une impuissance répétée désolante.
L’art thérapie favorise la mise en place d’un processus immédiat de déroulement, déplissement, développement, de prise de conscience, d’ouverture au nouveau et au potentiel individuel de changement. C’est ce contexte d’immédiateté, qui est de mon point de vue, le plus flagrant en art thérapie.
Mais pourquoi cet effet immédiat de l’art thérapie ?
Il me semble qu’en présence de la terre, de la couleur, du crayon, ou du jeu théâtral…, la personne retrouve sa nature (à l’inverse de ce qui l’a cultivé). La nature amène la spontanéité, le désir et le plaisir, le jeu, la création. Tout cela mobilise une jubilation, celle d’être en vie et d’être au monde.
Art-thérapeutes, nous ne faisons qu’utiliser des outils archétypaux que l’homme a inventé depuis qu’il est homme, pour créer de la beauté, laisser une trace de lui même et se relier au grand mystère. Terre, pierre, bois, matières pour interpréter le monde, et lui donner forme humaine, participer à la grande marche de l’humanité… A suivre !